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Histoires et Légendes… Les amants du lac de Gaube.

mercredi 2 février 2011 par Rédaction

Au début du XIXe siècle, la station de Cauterets avait grande réputation, ses eaux sulfureuses faisaient merveille, les bains de mer n’existaient pas et il était chic d’aller à Cauterets « prendre les eaux », que l’on soit malade ou non. Le pont d’Espagne, le Marcadau, le Péguère ou le lac de Gaube offraient des paysages propres à enflammer l’imagination et les émotions, aussi grandioses, splendides, vertigineux et terrifiants qu’à l’aube des temps. Qui n’avait vu les montagnes de Cauterets n’avait rien vu ! C’est qu’à l’époque, la montagne était un lieu sauvage, couru par les loups, les ours et les lynx. Seuls s’y risquaient les bergers du pays.

En août 1832, William et Sarah Pattison, sujets de sa Gracieuse Majesté Britannique, s’unissaient pour le meilleur et pour le pire et décidaient, pour leur voyage de noces, de se rendre dans les Pyrénées. C’était un voyage long et fatigant. Un mois plus tard, ils étaient enfin installés à Cauterets et goûtaient avec délice les émotions de leur amour tout neuf et la beauté des paysages. Chaque jour ils partaient vers les cascades, les gorges vertigineuses, les forêts profondes.

Un jour, ils décidèrent de s’en aller promener au bord du lac de Gaube, il faisait un temps radieux. Au pont d’Espagne, ils s’arrêtèrent pour admirer les fantastiques cascades qui déroulaient sous leurs yeux. Puis ils entreprirent la montée vers le lac de Gaube. Ils grimpèrent le chemin caillouteux qui sinuait à travers la forêt, s’arrêtant ici et là pour apercevoir la robe d’un isard, boire aux sources, contempler le paysage. La forêt était un enchantement ; les feuillus viraient à l’or dans le doux soleil de l’arrière saison. Au sortir de la forêt, la montagne s’offrit à leurs yeux dans toute sa beauté. Le glacier du Vignemale dressait sa pointe blanche dans le bleu du ciel, mirant son image dans le lac immobile. Au bord de l’eau, d’énormes rochers gris arrondissaient leur dos d’étranges bêtes assoupies. Des buissons d’églantines s’agrippaient ça et là au milieu des éboulis. L’on entendait parfois le cri d’une marmotte tandis que planaient dans les airs quelques vautours à l’œil inquisiteur. Le lieu était paradisiaque. Une auberge, non loin de la rive, restaurait les promeneurs.

William et Sarah s’y arrêtèrent et commandèrent des truites. Après avoir mangé quelques crêpes et bu un peu de vin, ils décidèrent de faire la traversée du lac. Ils se tenaient par le bras, se butinaient un peu comme de jeunes amoureux, un peu plus libres dans cette nature sauvage. Les yeux riant de plaisir, la tête tournée par l’air vif. Ils s’approchèrent du lac : une barque attendait.

Le passeur était absent. C’était un vieil homme qui venait là depuis quarante ans. Pendant tout l’été, il dormait dans une cabane qu’il avait bâtie à proximité. Il pêchait, payant une redevance en truites aux moines de Saint-Savin. C’était lui le vrai maître du lac. On disait que, la nuit, le vieil homme parlait avec les dames de l’onde, les gardiennes des eaux de la montagne. Nul jamais ne s’était aventuré sur le lac sans son aide.
Mais qu’importe ! William entraîna Sarah. Il la prit dans ses bras, la déposa sur le banc et sauta dans la barque. Puis il détacha l’amarre et prit les rames…

La barque, soudain délivrée, s’élança sur le lac immobile, troublant seule la sérénité des eaux lisses et froides, froides comme la glace dont elles étaient issues, il n’y avait pas un souffle de vent. Le temps semblait s’être arrêté.

L’aubergiste s’était avancé sur la berge et gesticulait. Ses bras faisaient des moulinets incompréhensibles et le son de sa voix se perdait dans le bruit des rames et le clapotis des vagues… L’embarcation filait au milieu du lac. Des curieux s’attroupèrent sur la rive.
Soudain, on vit William se lever, Sarah s’accrocher à ses jambes. Lui se pencha vers l’eau puis, brusquement, bascula par-dessus bord !

Sarah poussa un cri déchirant ! Puis on la vit se pencher à son tour et comme happée par une main invisible, elle disparut dans le gouffre liquide !

La barque continua sa course inexorablement, sans rameur, comme un animal bien dressé. Tandis qu’elle glissait vers la berge pour son dernier voyage, on entendit dans le lointain la cloche du village de Cauterets sonner le glas : le passeur venait de mourir en sa quatre-vingt-seizième année.

Alors le vent se leva, le ciel s’assombrit et les vagues dansèrent une drôle de sarabande sur le lac endeuillé ; il se mit à pleuvoir et tout fut noyé dans le brouillard…

Le lendemain, sur les eaux du lac apaisé, on retrouva les corps sans vie de Williams et Sarah Pattison. Ils furent rapatriés en Angleterre où on les enterra. En mémoire de ce drame, on érigea une stèle sur la presqu’île rocheuse. Qu’on pouvait voir jusqu’en 1940, date à laquelle elle fut détruite par les Allemands.

L’histoire reste un mystère : Sarah a-t-elle voulu rattraper son mari ou le rejoindre dans son froid linceul ? On ne sait, car certains prétendent que c’est elle-même qui l’a poussé dans le glacial abîme. Mais alors, elle, qui l’aurait emportée ?

Victor Hugo lui-même ne manqua pas la visite et relata l’anecdote dans son voyage aux Pyrénées.

Philippe Decotte