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Culture - Touchants portraits de femmes au Théâtre d’Argelès

vendredi 3 juin 2016 par Rédaction

Irène, Peggy, Suzanne : trois portraits de femmes touchants et drôles, campés par les comédiennes de la Compagnie « Les jolies choses » samedi dernier au Petit Théâtre d’Argelès-Gazost. La pièce « Moulin à Paroles » illustre avec un humour mélancolique la destinée féminine dans l’Angleterre post-victorienne.

Elles arrivent à pas lents, vêtues de noir, blotties sous d’imposants parapluies du genre « Pembroke ». Les trois femmes sont accompagnées par le carillon de « Big Ben », la célèbre grande horloge londonienne. Puis, à tour de rôle, elles apparaissent au creux du décor minimaliste, qui figure une cabine pour les prises de vues. Nous sommes dans le registre théâtral du « Talking Heads », les têtes qui parlent. Inspirés par un texte du dramaturge britannique Alan Bennett, « Moulin à Paroles », les trois monologues féminins ont été présentés samedi dernier au public du « Petit Théâtre de la Gare », dans l’écrin montagneux d’Argelès-Gazost.

D’abord, Irène, le « corbeau ». Elle observe la vie de ses voisins avec une mesquinerie hilarante, et accumule les écrits administratifs futiles, s’offusquant de recevoir « un merci pour ses remerciements », car « l’argent des contribuables est bien mal utilisé ». Mais la foudre tombe dans sa vie, et elle se retrouve dans une prison pour femmes. De manière inattendue, elle s’ouvre à la solidarité, et prend plaisir à veiller sur ses codétenues, qui en retour, lui font découvrir des aspects insoupçonnés de la vie. A travers cette histoire, Alan Bennett dénonce le caractère étouffant des conventions victoriennes, et prend un malin plaisir à comparer cette société corsetée avec l’univers carcéral.

Ensuite, Peggy, la gentille secrétaire, qui a toujours le mot pour détendre et faire rire ses interlocuteurs. Un grain de sable vient gripper la machine bien huilée de sa vie professionnelle rangée. Il prend les traits d’un collègue de travail qui vient lui demander de photocopier des résultats sportifs à l’heure de la pause-déjeuner. Peggy arrive en retard à la cantine, ne retrouve plus ses convives habituels, et engloutit un repas trop gras pour son estomac fragile. Comme dans un roman de Kafka, la machine infernale se met en route. Elle conduit la petite secrétaire, de surprises en désillusions, à l’épreuve de la maladie et de l’hospitalisation. Avec un humour triste qui évoque Charlie Chaplin dans « le Kid », Peggy dévoile le système des classes sociales dans l’Angleterre de cette époque, et le mépris feutré mais glacial qui frappe les personnes de condition modeste.

Enfin, Suzanne, épouse d’un pasteur imbu de lui-même jusqu’à la goujaterie, confie avec une verve coquine ses tribulations dans la paroisse du village, et sa liaison en mode « cougar » avec un jeune épicier indien. Il faut l’entendre raconter son affrontement avec une paroissienne zélée pour faire triompher sa vision de l’art floral, et la chute malencontreuse qui s’ensuit. Au fil du temps, Suzanne s’adonne à la boisson, jusqu’à convaincre son jeune amant de l’envoyer chez les Alcooliques Anonymes. Ce portrait caustique dessine la lutte d’une femme pour son émancipation, et la sévérité de la société à son égard. Un parcours qui n’est pas sans évoquer la touchante histoire de « La vieille dame indigne » chez Bertolt Brecht.

Le public du Petit Théâtre de la Gare a réservé une ovation aux trois comédiennes de la Compagnie « Les jolies choses », Mélia Bannerman, Maya Paquereau et Françoise Delile-Manière. Chacune dans un registre différent, elles ont servi avec élégance et subtilité le texte sensible d’Alan Bennett. Une oeuvre qui permet, à travers les détails banals d’une existence quotidienne, de révéler la tragédie en sommeil …

Jean-François Courtille